(1/3) Notice nécrologique : Journalisme (1456-2008)

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Première partie. (1/3)

Voulez-vous, aujourd’hui, on va se dire la vérité. C’est la fin de l’année, c’est le temps des résolutions et des coupes de champagne. Depuis l’arrivée des réseaux sociaux, l’intelligence humaine connaît un ralentissement. Nous vivons dans une mouscaille intellective bien opaque et mélassée où tout est acheté et financé jusqu’au dernier méconium. Chaque première selle est commercialisée. Il n’y a jamais eu autant de contenu et de publicité. Netflix achète les cinéastes. Nos médias sont de plus en plus dépendants de Facebook et le journalisme est en danger. Si elle voulait, l’entreprise de Silicon Valley pourrait détruire n’importe quel média en claquant des doigts. Allô la liberté.

Pour accroître leur audience, les éditeurs de presse doivent se soumettre aux réseaux sociaux et leurs demandes perverses. Plus de merde en rafale, plus de vidéos légers, moins d’épanouissement, moins de progrès. C’est plus dur de résister à Facebook qu’à une cigarette ou à un verre d’alcool. Aussi bien se prosterner et s’avouer vaincu tout de suite. Malgré, les effets nocifs sur la santé mentale, nos gouvernements ne font rien pour encadrer ce phénomène. Les politiques numériques sont inexistantes, on pense à l’argent avant tout. De toute manière, il y a toujours eu des possédants pour centraliser ou monopoliser l’information.

Pendant ce temps, nous participons à cette bénédiction, nous les cyniques et les technocrates de la modernité. Nous les esclaves serviles de la publicité. Au même moment, les vedettes du web se caressent entre elles sur les réseaux sociaux. Plus de likes, plus de partages, toujours plus. En espérant vendre des livres et monter dans la hiérarchie sociale du web. Pour les plus ambitieux, passer des réseaux sociaux à la télévision. Le rêve. «Moi je like juste les gens connus, c’est bon pour ma carrière!». Le meilleur moyen pour vendre? Soyez amis avec les influenceurs du web. Caressez-vous. Aimez-vous. Le plus drôle, ce sont les engueulades entre «vedettes» et les guerres d’opinion. Ça génère du clic. Les hommes d’affaires déguisés en rédacteur en chef adorent ça. Ils veulent leur gros bonus à la fin de l’année. Il faut choisir son camp. Patrick Lagacé ou Les Brutes. Ricochet ou Martineau. Fred Dubé ou Plus on est de fous, plus on lit! Wagner ou Matte. Choisissez votre camp, votre gang et parlez-vous entre vous. Likez-vous. Mangez-vous. Vive le politiquement correct. Ne soyez surtout pas vulgaire dans ce monde si élégant.

L’information ne sert plus à informer et éduquer, elle sert à divertir, elle enrichit les entreprises médiatiques et les élites. Comme l’avait si bien dit Boris Vian : «Il subsiste encore sur “notre terre” des individus dont la préoccupation majeure et les intérêts les plus affirmés sont de manger bien, de boire froid, de se divertir et de se reproduire.» Le divertissement, ces heures gaspillées sur Instagram, Facebook, Snapchat et compagnies, c’est le nouvel opium du peuple. Le divertissement est de moins en moins social et de plus en plus numérique. Tout pour rapprocher les humains et encourager les rapports amicaux et amoureux.

Personnellement, je ne serais pas capable de faire une chronique sur le nouveau restaurant trendy du Mile-End. À quoi ça sert d’être journaliste ou chroniqueur, si ça ne vient pas des tripes, si c’est pour faire de l’argent ou du divertissement? Quelle est l’utilité si ce n’est pas pour défoncer des portes et changer les mœurs. À quoi ça sert, si ce n’est pas pour mettre son emploi en danger comme l’a fait Fred Dubé récemment et ses prédécesseurs dans le passé. Vous faites ça pour votre petit criss de cachet par articles? À quoi ça sert de parler des mêmes sujets polémistes, de la même façon, en relatant les histoires des autres. Et ce, sans jamais rien apporter aux débats.

À cet effet, la journaliste américaine indépendante, Barbara Ehrenreich a passé quelques années à étudier la chute du journalisme en Occident. Son constat : «Il y a un changement très décourageant : il y a de moins en moins de débouchés, dans la presse écrite, pour l’information sérieuse, pour l’analyse, pour le journalisme littéraire. Il y a tout simplement moins de publications dans lesquelles écrire. Les gens n’ont jamais été plus ignorants sur le reste du monde. Le plus frustrant, c’est la difficulté d’attirer l’attention sur des sujets difficiles, dans un monde médiatique dominé par le divertissement.» Nos médias encouragent ce divertissement, c’est drôle le contenu de marde, les potins, la moquerie, le sarcasme et le caustique. C’est vendeur. Les gens ne semblent pas réaliser l’effet pervers des réseaux sociaux sur l’Homme. Quelle perte de temps. Les gouvernements se ferment les yeux volontairement, ils sont déficients, à genoux devant le capitalisme et le libre-marché.

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Pierre Falardeau a longtemps eu son mot à dire sur les médias : «Les journalistes, ils ronronnent, ils papotent, ils pontifient, la plupart du temps, le cul entre deux chaises sans jamais prendre parti ni se mouiller. […] drapés dans leur pseudo-objectivité à la sauce radio-canadienne : par ignorance, par lâcheté ou par intérêt […] Et ça se gargarise avec le “quatrième pouvoir” alors que dans la majorité des cas ce ne sont que des courroies de transmission du pouvoir. De simples haut-parleurs de pouvoir. Pire : le pouvoir lui-même. Des complices serviles, des hommes de main qui se prennent pour des hommes de lettres.» Le Couac, novembre 1997.


Il me semble qu’auparavant la plupart des tribunes étaient offertes aux journalistes, aux poètes, aux philosophes, aux écrivains et aux penseurs. Je ne sais pas moi, des gens comme I.F. Stone, Hannah Arendt, Rachel Carson, William Faulkner, Gabriel Garcia Marquez, Jane Mayer, Ernest Hemingway, Albert Camus ou Hunter S. Thompson. Pour ne nommer qu’eux. Qui seront les prochains écrivains importants, si on donne leur part aux autres? C’est triste. Il me semble qu’avant, il y avait moins de vidéos médiocres, de Pokémon Go, de chroniqueurs sportifs, de stylistes, de décorateurs, de polémistes, de créateurs de hamburgers de luxe ou de filles qui font des squats sur Instagram. Pas qu’ils ne soient pas «importants» ces gens-là. Il y en a juste trop. Le divertissement est partout, du réchauffé, c’est simple, c’est rapide. Lorsqu’on est prêt à abandonner aussi facilement le combat et donner sa chemise aux régies publicitaires et à Facebook, c’est toute l’économie journalistique et médiatique qui en souffre. Les intellectuels et les penseurs mangent les miettes qui tombent du haut de la table. Une fois de temps en temps. Dans un coin. Pour faire comme si.

Pour lire l’entrevue complète de Barbara Ehrenreich : Le journalisme en péril


Pour lire la suite de ce billet (2/3): c’est ici.

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2 Commentaires

  1. Intéressant ton billet. Ce qu’il y a de plus inquiétant dans ce phénomène c’est que le développement du sens critique ne semble pas suivre la même progression. Dans ce contexte, il n’y a pas seulement que les journalistes, philosophes,écrivains et autres penseurs qui écopent. Il y a aussi la démocratie.

  2. Vous faites abstraction de l’Histoire. La manipulation des masses, la culture du vide et le détournement de l’attention par les médias n’est pas une nouveauté, causée par l’apparition des médias sociaux. Cela existe depuis des centaines d’années. Il suffit de faire de très brèves recherches pour s’en apercevoir. Il ne sert à rien de demander au gouvernement de régler le problème, il en est le premier bénéficiaire! Les grands médias, ceux qui sont les plus consultés par la population, sont depuis toujours un outil de propagande des grands intérêts, des puissants de ce monde. Facebook et compagnie n’ont apporté qu’une chose, rendre accessible au plus grand nombre cette vacuité et cette manipulation. Il est de bon ton de s’en offusquer. Mais une fois passé ce coup de gueule libérateur, que ferez vous? Il n’existe pas mille solutions pour régler ce problème. Il n’y en a qu’une et elle est intimement liée à celle qui réglerait les problèmes de la société en générale. Tout simplement remettre ce quatrième pouvoir (de même que le pouvoir législatif, le pouvoir militaire, le pouvoir économique, etc.) entre les mains de la population. Éliminer les intermédiaires et leurs intérêts personnels. Oserez-vous en parler?

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