(2/3) Notice nécrologique : Journalisme (1456-2008)

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Deuxième partie. (2/3) Note: Oui. L’image et le titre de l’article, c’est voulu.

« La presse est une bouche forcée d’être toujours ouverte et de parler toujours. De là vient qu’elle dit mille fois plus qu’elle n’a à dire et qu’elle divague souvent et extravague. »
Journal intime, Alfred de VIGNY

Il me semble qu’à une certaine époque, la qualité du contenu décidait naturellement des ventes et de la réputation d’un journal. Il ne fallait pas se mettre de la vaseline dans le trou du cul pour écrire ou être lu. Il ne fallait pas être l’ami «du club des vedettes Facebook du Québec» pour être publié dans les quotidiens ou pour publier un livre. Il me semble que le rôle des journaux respectables était d’intéresser les gens à des sujets complexes et fondamentaux. Il y avait du divertissement, certes, mais l’éditorialiste ou le rédacteur en chef savait faire la différence entre un vidéo de chats et une chronique littéraire. Il voulait par-dessus tout niveler par le haut, sans négliger la qualité du contenu. C’était avant l’époque des livres de recettes ou de développement personnel. Pour moi la responsabilité du rédacteur en chef est essentielle dans notre société. Il doit oser. Il ne doit pas succomber à la tentation du «populaire.» Il doit tenir tête à ses patrons sans avoir peur d’être remplacé. C’est pourquoi le journalisme indépendant est si important. Nous disons souvent qu’il faut séparer l’Église de l’État. Le corporatisme du financement politique. Qu’en est-il du corporatisme et des médias?  Est-ce que le rôle de l’État doit changer face aux nouveaux paradigmes? Avec la mondialisation des marchés et les fusions d’empires multimédias, existe-t-elle vraiment cette mythique liberté de presse, cette nébuleuse liberté d’expression? Quelle bouffonnerie!

Plusieurs auteurs et journalistes ont écrit des papiers ou des livres sur le quatrième pouvoir. J’aime particulièrement l’œuvre d’Alain Woodrow. C’est riche. C’est bien documenté. Information Manipulation (Félin, Paris, 1991) OU Les médias, quatrième pouvoir ou cinquième colonne?  (Félin, 1996) Quand allons-nous prendre le tout au sérieux? Il faut être aveugle pour ne pas s’apercevoir que la situation se détériore. L’attention des gens est détournée des vrais enjeux. Pour Gary Vaynerchuk, Venture Capitalist et expert en médias sociaux, les marketeux sont en guerre! La «guerre de l’attention», il parle aussi de la «monnaie de l’attention.» Les nombreuses heures que nos jeunes et moins jeunes passent devant leur téléphone sont vendues méticuleusement.  Les jeunes ne lisent presque plus de livres. Ils swipent. D’ailleurs, la sociologue Sylvie Octobre, avait écrit ceci dans Deux pouces et des neurones: «Les séquences de lecture des jeunes sont plus courtes, souvent liées à leurs échanges écrits sur Internet, et donc sont très liées à la sociabilité. Les choix de lecture se font en interaction avec les autres, de plus en plus par des recommandations des pairs. Or lire un livre est, par nature, une activité plutôt longue et solitaire. […] Le smartphone est devenu le premier terminal culturel des adolescents et jeunes adultes. Les 15-29 ans lisent des textos, Wikipédia, des blogues… des textes, des publicités, des articles, etc. Mais le goût pour la lecture de littérature baisse.»

Aujourd’hui, avec l’émancipation des régies publicitaires, depuis Google et Facebook, presque tout est conçu en fonction du nombre de vues potentielles. Avec cette nouvelle mentalité, ces nouvelles lois, c’est la qualité et l’offre qui a changé. Le travail de certains chroniqueurs ou fabricant de contenu n’est plus d’éveiller les consciences ou d’élever le débat politique. Désormais, la plupart des tribunes sont offertes aux YouTubers et vedettes du moment, ceux qui se rentrent des carottes dans le cul devant la caméra pour obtenir un million de vues. À peu près tous les z’humoristes du web ont déjà fait la blague «moi je veux être connu, je suis connu, je veux des likes». Ils font comme si ce n’étais pas vrai. Avant, ils n’en parlaient pas, aujourd’hui c’est fait avec autodérision. Aux poubelles, le narcissisme et l’histrionisme! Tout s’annule. C’est drôle. C’est caustique. Je crois que Thug Life QuébecMusique Plus et les autres connaîtront de bonnes années avec célibataires et nus, Barmaid, etc. Après les dieux de la scène et Loft Story, c’est encourageant. Elle est riche notre culture, il faut protéger nos valeurs. Bravo aux producteurs pour votre audace! Dans la presse écrite, c’est du pareil au même. On demande aux chroniqueurs de vendre des histoires polémiques et d’attirer l’attention médiatique par tous les moyens vers ces sujets. Pour satisfaire aux exigences des régies publicitaires. La discorde est à la mode, on vend des trucs sur le hockey, des t-shirts ou la dernière collection de Caroline Néron; le tout contre un beau gros chèque commandité et alléchant! C’est vraiment dans ce monde que nous voulons progresser? Comment en sommes-nous arrivés là?

C’était mieux avant Facebook?

La belle époque de mon imaginaire, avant l’infestation des publicités et du contenu commandité sur les médias sociaux. Ce temps où l’offre était plus étroite et plus riche, ces années où les lecteurs devaient se forcer et faire preuve de discernement pour comprendre l’actualité. Ces images dans ma tête où Camus chuchotait des chroniques sur la guerre à l’oreille des gens, dans un café, à un vieillard plongé dans sa lecture en fumant sa pipe. Des chroniques où García Márquez racontait avec la plus belle poésie qui soit ses aventures avec la gent féminine; avec son gros pinceau. Cette époque où les journaux n’avaient pas l’indécence de populariser des potins. Au risque de perdre la poignée de change qui m’est offerte par ces mêmes gens, quitte à perdre ce qui me permet de manger dernièrement, je vais au moins être franc. Je peux me le permettre, je n’ai pas d’ambition. Toute cette merde, c’est honteux. Il est sérieusement temps que les gouvernements discutent avec Facebook et les empires médiatiques afin de contrer cette frénésie capitaliste au détriment du littéraire et du savoir. Si vous ne réalisez pas que la population est de plus en plus stupide, année après année, vous ne faites pas partie de la solution, vous faites partie du problème.

Est-ce possible de faire autrement? Même si c’est «ça» la recette gagnante pour faire des revenus publicitaires? L’homme s’habitue à tout, lorsqu’on lui sert de la merde, il en redemande. Sans parler de la dépendance aux réseaux sociaux. De plus en plus de psychiatres se penchent sur cette nouvelle forme de dépendance. Pourrions-nous renverser la vapeur? Ça prend de l’audace pour faire mieux. C’est ce courage qui a poussé certains pays à se sortir des énergies fossiles lorsqu’on leur disait : «le monde consomme du pétrole, c’est impossible de faire autrement.» Au tournant des années 2000, les journaux traditionnels ont vite lancé la serviette. «Facebook est trop fort, les nouveaux médias numériques sont trop puissants.» C’est ce qu’on entendait.

Est-ce possible que Facebook ait beaucoup trop de pouvoir? Il faudrait que nos élus se réveillent devant ce monstre, qui soit dit en passant a engendré des revenus de 25 milliards jusqu’à présent cette année et qui est évalué à plus de 340 milliards de dollars. Une fortune que se sépare 70% d’investisseurs institutionnels, des entreprises comme Fidelity Investments (152 millions d’actions), Vanguard Group (136 millions d’actions) ou Goldman Sachs, ces mêmes ordures derrière la crise financière de 2008. Des gens qui en ont rien à branler de la liberté d’expression et de la liberté de presse. 
Enfin bref, au risque d’avoir l’air un peu brusque et de perdre ce qui me stimule intellectuellement et qui me procure un certain bonheur pendant quelques heures: écrire, être lu. Je vais au moins tenter d’être franc.

Sans Facebook, moins de gens me «connaîtraient», je n’écrirais probablement pas de chroniques dans un quotidien. Honnêtement, je serais exactement la même personne, j’écrirais des textes dans des cahiers ou sur mon laptop et ça serait «ben correct.» Je vivrais ma solitude en paix, je travaillerais pour un boss que je déteste et je boirais de la bière. Il y a quelque chose de très contradictoire chez moi. Je méprise Facebook et les médias et j’en suis moi-même un outil et un accro. Je méprise ce qui me donne autant de satisfaction, cette illusion de bonheur lorsqu’un de mes textes devient «populaire» dans mon salon. Je vilipende cette industrie, parce que je sais au fond de mon petit cœur qu’elle exploite la faiblesse des gens, notre paresse, notre vacuité, notre cynisme et notre naïveté. Le tout d’une manière exécrable.


Pour suivre l’auteur sur Facebook: c’est ici. (hi, hi, hi)

2 Commentaires

  1. Je me souviens, il n’y a pas si longtemps, beaucoup parlaient contre la Chine qui a bloqué Facebook et ci de son territoire. On voit maintenant que la Chine a fait un choix responsable à l’avantage de son intégrité.

    Personnellement, je n’ai pas mis les pieds sur Facebook depuis l’élection de M’sieur Trump. Le sevrage a été difficile, au début, car j’avais l’impression que le monde ne savait plus ce qui me passe par la tête, mais quand j’approfondie la chose, je me fout pas mal de ce que le monde raconte sur facebook, je peux donc croire que c’est la même chose pour les autres. Donc, à quoi bon m’évertuer à faire passer des idées dont tout le monde se fout?

    Je crois que mon quotidien est meilleur maintenant, je partage mes idées avec des gens avec qui je peux m’associer pour vrai, dans le vrai monde. Parce qu’après tout, tout ce qui compte c’est la réalité, et les opinions anonymes de personnes glauques m’indiffèrent totalement.

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