Début d’après-midi. Le maire de Béziers, Robert Ménard, se fait attendre. Je patiente à l’accueil dans un silence amollissant. Dans la salle, des antiquités, des oeuvres d’art et des affiches de torero derrière des vitrines embellissent la pièce.
Et puis, enfin, du bruit, des bottes… À l’improviste une trentaine de policiers grimpent le grand escalier d’un pas lourd. Par hasard, ils attendent au même endroit que moi. Jour de formation pour ces flics, afin de contrer la menace terroriste tant attendue à Béziers.
L’ambiance dans la ville est étrange, les gens boivent des cafés crème et se promènent paisiblement à l’extérieur. Pendant ce temps, des policiers patrouillent les rues, des affiches et des magazines de propagande sont distribués pour promouvoir les politiques du maire et son référendum.
Toujours à l’accueil, les gendarmes me serrent la main un après l’autre, ils pensent que je suis leur formateur anti-terreur. Moi. George W. Bush, venu spécialement du nouveau monde pour eux. La situation est trop bizarre, je me contente de sourire timidement. Le vrai prof arrive enfin et les policiers entrent dans la salle d’à côté. Une fois à l’intérieur, la grande porte se referme et le formateur parle très fort : «ils peuvent arriver n’importe quand», «il faut réagir rapidement», «les terroristes sont malins et sans pitié», «Béziers est une ville populeuse, une cible potentielle.» Je trouve la situation complètement surréaliste.
Monsieur le maire arriva enfin, lui qui vient de se ranger, sans surprise, derrière Marine Le Pen pour les prochaines présidentielles. D’entrée de jeu, il me raconte avoir doublé les effectifs de police, il a offert aux policiers des armes et des tasers, en plus de créer une brigade canine. Il en récolte beaucoup de fierté.
J’ai rencontré un homme assez nerveux et méfiant. Dans son bureau, mon collègue et moi posons nos questions. Lorsqu’on lui parle de la France, il répond que ce qui lui importe c’est Béziers. Son oeuvre, sa ville. J’observe un homme épuisé par les débats et les nombreuses entrevues qu’il offre aux journalistes. Il ne semble plus avoir de plaisir.
Ménard est populaire à Béziers «les vrais français» votent majoritairement pour lui. Par contre, il semble peu apprécié dans le reste du pays. J’ai discuté avec plusieurs personnes à Paris, Auch, Toulouse et Montpellier. C’est unanime, pour ces gens, cet homme est dangereux et xénophobe, un polémiste et un réactionnaire. Plusieurs d’entre eux, à la blague, m’ont demandé de lui donner une taloche. Je devais le rencontrer pour juger par moi-même.
Le maire de Béziers a des idées politiques populistes et d’extrême-droite. Ce n’est pas simplement une étiquette.
- Ficher les lycéens selon l’ethnie et la religion.
- Interdire les nouveaux arrivants par référendum.
- Interdire aux gens de faire sécher leurs vêtements sur le balcon.
- Faire des tests d’ADN sur les chiens dangereux.
- Interdire l’ouverture de kebab.
- Doubler les effectifs policiers et les armer lourdement.
- Créer une brigade/milice en donnant des pouvoirs spéciaux à certains citoyens.
- Imposer un couvre-feu.
- Apposer des affiches polémiques dans la ville et distribuer un magazine vantant le catholicisme et le référendum.
- Et j’en passe…
Béziers est la quatrième ville la plus pauvre en France. C’est le McDowell County français. Comme l’a fait Donald Trump, il a promis à ces gens dans la misère que l’économie irait mieux sans les immigrants et qu’il allait créer des emplois. L’homme se fout bien des lois et du pouvoir de l’État, il empiète sur les compétences juridiques du pays, sans aucune retenue. Pour lui l’Assemblée nationale, Valls et Hollande (et leurs prédécesseurs) gèrent mal le pays. Selon Robert Ménard, Béziers hérite des mauvaises décisions de l’État et les problèmes sont surtout causés par l’immigration, les migrants et les réfugiés, des chômeurs et des profiteurs de services publics. À ses yeux, «il y a les Français, puis il y a les autres.» «L’islam et les musulmans ne sont pas compatibles avec la France.» Tout de même, il me mentionne que l’infirmière qui soigne sa mère est Algérienne, et qu’il n’est pas raciste… Le cousin du «j’ai des amis Noirs, je ne suis pas raciste.»
Référendum sur les migrants
Robert Ménard possède des statistiques en vrac dans sa poche droite et des positions arrêtées dans l’autre. Il sort le tout afin de se défendre lors des débats. La bonne vieille cassette du politicien professionnel. Fidèle à lui-même, le président de l’État biterois veut interdire les nouveaux arrivants dans sa ville, en prétextant qu’il faut d’abord s’occuper des Français. Comme s’il était impossible de faire autrement.
Malgré l’illégitimité de son référendum, malgré les recommandations du préfet de l’Hérault, Pierre Pouëssel, Ménard continue d’insister. Dans une lettre, le préfet avait déclaré que le conseil municipal « ne peut empiéter sur les compétences de l’État, ce qui est le cas en l’espèce ». « Je me dois vous indiquer que si cette délibération venait à être adoptée, je serais conduit à demander la censure par le juge administratif par la voie d’un référé-suspension », prévenait alors M. Pouëssel.
Ce n’est pas la première fois que Robert Ménard fait abstraction des lois françaises. Il est maire, mais ses opinions traversent les remparts de Béziers. La préfecture avait déjà eu recours au tribunal administratif de Montpellier au sujet de sa milice, «la garde biteroise.» Monsieur le maire voulait permettre aux «vrais français», «aux Blancs» de sécuriser la ville près des quartiers chauds et des mosquées. Pourtant, la loi française ne permet pas aux maires de déléguer aux citoyens des responsabilités en matière de sécurité publique.
Le président de l’État biterois a aussi tapissé les murs de la ville avec des affiches antimigrants «ils arrivent» ou bien avec des affiches de policiers armés avec le slogan «Désormais la police a un nouvel ami» Une mesure pour «faire peur aux voyous.» Ces mesures sont polémiques et intimidantes selon plusieurs citoyens avec qui j’ai discuté. Ménard est prêt à tout pour «défendre son référendum antimigrants contre l’État » En conférence de presse, et pendant l’entrevue, il a répété : « Non, je ne suis pas prêt à recevoir des migrants dans ma ville. Je vais me battre contre l’État français pour ce référendum »
L’ancien reporter aime l’attention médiatique et la provocation. Il connaît bien la presse et les faiblesses humaines de l’électorat: la peur, la division et la pauvreté. Il semble avoir peu à offrir comme idées, au plan économique. Selon lui, tous les maux de cette ville sont causés par «les autres.» Peu d’idées, peu de projets pour créer des emplois. «Ça» c’est la responsabilité de l’État, pas de Béziers. Robert Ménard n’a quand même pas eu le courage de bâtir sa campagne électorale autour de l’emploi et de l’économie.
Présidentielles et Front national
Malgré ses liens étroits avec le Front national, il dit ne pas avoir d’aspirations politiques comme député. Le maire de Béziers est soutenu par les Le Pen depuis toujours, il a d’ailleurs écrit des livres sur eux. C’est également un ami personnel d’Éric Zemmour qui vient parfois éduquer le peuple de Béziers lors de conférences sur l’extrême-droite. La joie quoi.
Aux prochaines présidentielles, Robert Ménard mentionne qu’il serait facilement élu. Les gens de sa ville aiment ses idées antimigrants. Il raconte le tout avec un sourire en coin. Il avait la même fierté dans les yeux lorsqu’il parlait de ses policiers ou de son référendum.
À la sortie de l’hôtel de ville, pour avoir un contrepoids, j’ai discuté avec quelques français d’origine marocaine dans un kebab. Robert Ménard a récemment interdit l’ouverture de restaurants arabes à Béziers, pour lui ce n’est pas de la cuisine française. Les hommes avec qui j’ai parlé semblaient craintifs de parler du maire. L’un d’eux a dit qu’il allait trop loin avec les affiches et les mesures antimigrants. Un autre mentionna que Ménard faisait simplement son boulot et qu’il y avait moins en moins de voyous dans la rue la nuit.
Enfin, en allant rencontrer cet homme, je ne voulais pas lui donner plus de visibilité au Québec. Je suis allé le rencontrer, parce qu’il est important de comprendre les dérives possibles de l’extrême droite. C’est un avant-goût de ce que Marine Le Pen pourrait faire comme présidente de la République. Je voulais l’entendre m’expliquer ses positions, mais il était toujours sur la défensive, je suis ressorti choqué par ses propos et ses décisions. Lorsque je lui ai demandé ce qu’il pensait des réfugiés syriens qui sont arrivés au Canada, il m’a répondu le plus sérieusement du monde «combien de terroristes sont entrés chez vous, d’après-vous?» À mes yeux, cet homme est prêt à tout pour imposer ses idéaux en divisant et en intimidant sa propre population. J’espère que la montée de l’extrême-droite en France fera réaliser aux Québécois les dangers potentiels lorsqu’on adhère à ce genre de discours «les Français, et puis les autres.»