Islande, discussion avec des militants du Pirate Party

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À l’approche des élections en Islande, je me suis posé la question si je devais écrire un texte délibérément enthousiaste sur les paysages spectaculaires et les chutes «les foss», les baleines, les geysers et les très jolie Islandaises. Un texte du genre Canal Évasion, traitant d’un tourisme fantastique, un pays parfait, afin que Wow Air me paie le billet du retour. Je dois l’admettre, l’Islande est indéniablement belle, c’est féérique. Une culture riche et unique, des contes et des histoires sur les elfes et les vikings, des panoramas digne de Mars et du Seigneur des anneaux, de jolies maisons aux toits colorés, l’océan, les montagnes et des gens forts sympathiques.

Oui. C’est beau.

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En discutant avec quelques habitants de l’endroit, je me suis vite aperçu que tout n’est pas rose. L’Islande est en plein boom immobilier, les paysages à Reykjavik changent à vive allure. Selon les habitants avec qui j’ai discuté, le pays a perdu son authenticité et ses racines. L’argent du tourisme est mal redistribué et les politiciens sont corrompus. De plus, la population doit aller vivre en campagne par faute de moyens. Les gens sont mécontents. Si vous passez quelques jours à Reykjavik, il est vrai que vous apprécierez votre voyage.  Tout de même, il y a plusieurs bouleversements sociaux au pays, il suffit de regarder au bon endroit, il faut parler aux citoyens, ce que plusieurs touristes ne font pas. La collusion et la corruption est sur toutes les lèvres présentement. L’Islande ne sait plus où elle va, le développement est trop rapide, un monstre touristique est né et les loyers sont devenus beaucoup trop élevés comparativement aux salaires des habitants. Pendant ce temps, plusieurs médias décrivaient l’Islande dans les dernières années comme la Mecque de la démocratie et du vivre-ensemble.

Il faut comprendre que malgré un PIB par habitant élevé, les Islandais n’ont jamais été très riches. Ils vivaient modestement avant le crash bancaire de 2008, ils sont autosuffisants en énergie, et ils sont de grands importateurs. Depuis la dernière crise économique, tout a changé. Le coût de la vie est devenu invivable, il y a des épiceries Bonus partout (du genre Wal-Mart), où la bouffe est devenue très cher non seulement pour les touristes, mais aussi pour les habitants. L’essence est à 2 euros le litre, des pommes à 5 euros le kg et des biens essentiels très dispendieux. Une bouteille d’eau dans un dépanneur coûte six euros, même si l’eau du robinet est délicieuse. Cette célèbre et fausse révolution démocratique, dans les dernières années, a permit à des politiciens scrupuleux de changer certaines lois conservatrices et protectionnistes, des lois qui parvenaient à maintenir la dignité et le niveau de vie des habitants. Maintenant, au nom du progressime et du libre-marché, plusieurs citoyens n’arrivent plus à vivre en haut du seuil de pauvreté. Le boom immobilier ne profite pas à la population. Les politiciens et les gens d’affaires corrompus avaient un agenda politique bien en place, permettre au tourisme de s’émanciper pour faire fortune le temps que ça passe. L’ancien premier ministre Sigmundur David Gunnlaugsson a fait des millions de dollars dans ses entreprises offshores tout en gouvernant, c’est aussi le cas pour d’autres politiciens, dont le ministre des finances Bjarni Benediktsson.

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Wow Air offre des prix abordables pour des vols en Europe vers l’Islande!

Heureusement, les Islandais sont éveillés devant la corruption, ils ne sont pas comme les Québécois devant le PLQ. Le Pirate Party mène actuellement dans les sondages. Plus radical que ça comme parti, tu meures. Québec Solidaire sont tranquilles comparativement aux pirates. Ce jeune parti anarchiste et populaire se définit ni à gauche, ni à droite. Tout de même, il possède des idéologies des deux deux extrêmes. Aider les pauvres comme Robin des Bois, mais réduire la taille de l’État. Ce parti mené par Brigitta Jónsdóttir veut abattre les fondements des anciens systèmes politiques du pays. Ils veulent bâtir une nouvelle constititution (par assemblée constituante) sur internet en consultant la population. Jónsdóttir a toute une feuille de route, pirate de Wikileaks, activiste, poète, elle désire offrir l’asile politique à Edward Snowden, former une démocratie directe et enlever la mafia politique du pouvoir. Certains des militants avec qui j’ai discuté veulent son élection, mais s’inquiètent tout de même du radicalisme et de l’anarchisme de ce parti. Pour eux le problème, ce n’est pas nécessairement le tourisme et l’immigration, c’est plutôt la corruption qui émane de l’industrie.  Des investisseurs étrangers et les gîtes Airbnb accourent aux portes. La population ne profite pas du boom économique et des milliards de couronnes islandaises (ISK) qui vont directement dans les poches des millionaires. 1.5 millions de touristes viennent dépenser en moyenne 500 euros pendant leurs courts séjours. C’est énormément d’argent, ce sont des retombées économiques immédiates qui profitent aux entreprises, mais pas à la population. Les taxes pour les entreprises sont de 20% et le gain en capital est taxé à 18% . Où va donc tout cet argent? Pourquoi autant de pauvreté pour une aussi petite population, avec autant de richesses et de revenus? C’est difficile à expliquer !

Dans un autre ordre d’idées, les militants du Pirate Party que j’ai rencontré veulent l’anarchie et la liberté, ils sont anti-capitalistes et veulent moins de services publiques, plus d’argent dans leurs poches, mais moins d’État. De l’autre côté, ils aiment leurs beaux quartiers modernes, leurs boutiques à la mode, ils aiment les bars et les restaurants luxueux qu’ils fréquentent le week-end. La politique est semé de contradictions n’est-ce pas ? J’ai constaté que plusieurs jeunes veulent les deux côtés de la médaille. La vie luxueuse et moderne du capitalisme au centre-ville, des manteaux de fourrures (très populaire chez les femmes), des scotchs à soixante euros la bouteille, des vêtements griffés, des bières à onze euros, mais de l’autre côté l’anarchie participative, la redistribution de richesses et l’anti-capitalisme solidaire… Sangria, iPhone, pas le temps de niaiser. (Je fais un Martineau de moi). Mais plus sérieusement, c’est quand même vrai, il faut être conséquent avec nos actions, surtout lorsqu’on parle d’anarchie, d’anti-capitalisme et de redistribution de richesses. Il y a une raison pourquoi autant de boutiques griffés et de compagnies étrangères font fortune en Islande…

Il faut comprendre que l’Islande était méconnue avant la crise économique de 2008. En 2003, il y avait seulement 2 500 Canadiens qui s’y rendaient chaque année. En 2015, c’est monté à 46 500 visiteurs. Selon le Icelandic Tourist Board, il y avait 472 000 touristes annuellement en Islande en 2008. En 2016, ce nombre est passé à plus de 1, 500 000 de touristes! Les compagnies aériennes offrent désormais des vols abordables et des escales entre l’Europe et l’Amérique du Nord à bas prix. C’est sans précédent, c’est la plus grosse hausse en tourisme sur la planète, proportionnellement avec une population.

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Il y avait 323 000 habitants en Islande au dernier recensement de 2013. Au même moment, plus de 500,000 touristes visitait le pays des vikings (durant la haute saison). Tous en même temps. À Reykjavik vous avez beaucoup plus de chances de parler à un touriste qu’un citoyen. Vers la fin de l’été, il y a plus de touristes que de citoyens. Malgré l’envahissement touristique, les citoyens restent hospitaliers, les aubergistes aussi, les propriétaires de Airbnb sont heureux et ils s’en mettent plein les poches. Il y a quand même du civisme, les jeunes locaux font la fête sur la rue principale où de nombreux restaurants et bars ont ouverts leurs portes. C’est moderne, la musique est incroyable et le monde est beau. Sauf les manteaux de fourrures qui sont partout. Je me suis fait reviré solide quand j’ai demandé à l’une d’elles si c’était à la mode la fourrure en Islande.

J’ai aussi rencontré un homme d’un âge plus que respectable, un allemand qui a commencé à voyager en Islande dans les années 80, à ses yeux, c’était le plus beau pays du monde. L’un des derniers endroits authentiques sur Terre. Il me disait pouvoir conduire avec sa femme vers le nord, sur l’autoroute nationale pendant des heures sans y apercevoir une seule voiture. Selon lui, tout est compromis.
Malheureusement, il n’y a pas de distribution de richesse, les investisseurs étrangers achètent tout au centre-ville. Les hôtels et les tours poussent comme des champignons.

Des militants du Pirate Party.

Le même soir, j’ai eu la chance de discuter avec de jeunes islandais (très politisés) le temps d’une soirée. Des militants du Pirate Party. C’est frappant. Le niveau d’éducation de la population est palpable, les jeunes s’intéressent au monde, aux études, aux voyages et à la politique. J’ai rencontré Hlynur au beau milieu de la rue, un physiothérapeute qui a déjà habité à Toronto et qui a marié une femme en Espagne. Nous attendions notre petit burger à vingt dollars (sans frites) devant un foodtruck. Vingt dollars pour un burger dans la rue! Pas besoin de vous dire que l’inflation a ravagé le pays, une bouteille d’eau dans un dépanneur coûte 5$ et un café noir en coûte 6$. Pendant ce temps, les salaires de la population ne montent presque pas. Ce sont les entrepreneurs qui font fortune, ceux qui ont les moyens pour acheter des commerces et des immeubles. Après une courte discussion avec Hlynur, il m’a invité avec mon ami de Québec dans un petit party pour partager une bouteille de scotch. Du très bon scotch. À cet endroit, il y avait trois militants du Pirate Party. Ces gens connaissaient Justin Trudeau sous son vrai visage, ils riaient de lui, les Islandais se méfient des politiciens trop souriants, ceux qui ne respectent pas leurs promesses. Je leur ai rapidement confirmé leurs présomptions sur le beau Trudeau.

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Après quelques verres de scotch on a rapidement parlé de politique. Un emcee du nom de Mc Bjor (un gars vraiment brillant) me racontait que ses parents avaient déménagés en campagne récemment, ils n’avaient plus les moyens d’habiter au centre-ville. Il était furieux, il était maigre, autour d’un joint, il m’a mentionné avoir peu mangé dans les derniers jours, il avait perdu son emploi, il buvait de la bière pour se remplir l’estomac. Le jeune musicien me racontait la récente décente aux enfers de certains islandais, plusieurs quittent vers la campagne par manque d’argent. Et la campagne en Islande, c’est sombre et noir longtemps. L’Islande a un très haut taux de suicide en hiver. Ces militants voulaient principalement changer le système politique en place, instaurer une démocratie parallèlle au gouvernement actuel, un genre de chien de garde qui surveillerait le prochain gouvernement. C’est également les aspirations de leur leader Brigitta Jónsdóttir, elle avait déclaré ne pas vouloir gouverner, même si le Pirate Party remporte les élections.

Moi aussi, j’y ai cru à l’utopie islandaise en 2008, c’était trop beau pour être vrai. Les photos du pays sont tellement belles. Mais il ne faut pas juger un pays comme un touriste, seulement par sa couverture. Dans les campagnes, il y a une pauvreté immense et des gens qui souffrent. L’agriculture est faible et les islandais dépendent beaucoup de l’importation de nourriture. Ce sera un enjeu très important pour le futur. L’Islande regorge de géothermie et d’énergie, mais c’est trop loin pour la vendre. J’ai souvent fait des parallèles douteux entre le Québec, les pays scandinaves et l’Islande dans le passé. Je croyais que leurs politiciens étaient des génies et que ça rassemblait à ça la démocratie.

La fête était bien sympathique, les musiciens jouaient du piano, des filles sont arrivés, dont une qui m’a complètement volé mon cœur tellement elle était belle. Selon ce groupe d’universitaires, comprenant un physiothérapeute, deux musiciens, deux ingénieurs et un entrepreneur, le reste du monde doit comprendre que les médias décrivent une fausse réalité en Islande. Au premier coup d’oeil, le tourisme peut sembler une bonne chose, mais il faut faire attention. Les mouvements de gauche comme Occupy Wall Street et compagnie ont malheureusement imaginé qu’en mettant les banquiers corrompus en prison, en instaurant une nouvelle constitution, la vie des Islandais deviendrait meilleure et que tout allait changer. Une nouvelle mafia avait simplement remplacé l’autre. Grâce aux nouvelles lois en  tourisme et en immobilier, grâce aux investissements en transport aérien, le PIB a monté et les indicateurs économiques s’améliorent, mais tout bon professeur d’économie vous dira qu’il faut regarder ailleurs. En économie sociale, pour peindre le véritable portrait d’une société, il faut s’assurer que la population s’enrichit, que les gens sont heureux, qu’ils obtiennent de meilleurs services et que l’écart entre les riches et les pauvres ne s’accentue pas. Ce n’est pas le cas en Islande, mais pas du tout. Ce boom immobilier a profité aux plus riches et à eux seulement. Comme à Vancouver, les étrangers achètent tout. Vive le libre-marché.

Enfin, au mois d’avril dernier, la population est retournée dans la rue pour manifester. Le président actuel M. Gunnlaugsson a été forcé de démissionner, suite au scandale des Panama Papers. Le gouvernement a annoncé des élections anticipées, elles débuteront le 27 octobre 2016. Les gens avec qui j’ai discuté parlait d’un nouveau souffle, d’une nouvelle gauche. Le Pirate Party de Birgitta Jónsdóttir mène dans les sondages, cette femme qui avait venu venir les derniers déboires du pays depuis fort longtemps semble très populaire. C’est une élection à suivre!

3 Commentaires

  1. Magnifique article. Vous nous offrez une toute nouvelle perspective.
    J’espère que vous pourrez vendre votre article ailleurs pour pouvoir revenir…

    Et si je peux me permettre, peut-être investir dans un meilleur correcteur de texte. J’utilise Antidote qui est excellent. (Je crois que le mot « inserré » devrait être « inséré »).

    Bon courage !

  2. Merci de partager avec nous ce point de vue à chaud sur l’Islande. Il va sans dire que je le partage à mon tour avec mes amis.

  3. Très sympathique. J’ai reçu la version avec « contrairement aux Français », parce que évidemment j’aurais mis par certains Français! car Trudeau qui va pavoiser avec Porochenko, en Ukraine, cette république bananière tendance néo-nazi, c’est pas mon fort. On est pas mieux lotis ici.

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