Allez-y, tirez, il saigne encore.

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Guy Turcotte s’est fait attaquer en prison. Le peuple s’est réjoui. Enfin! Un sentiment de satisfaction, une nouvelle rafraichissante dans cette chaleur accablante. Ce soir, inutile de démarrer l’air conditionné. Devant Facebook, loin du tribunal, loin des pénitenciers, loin des asiles psychiatriques, les lyncheurs de l’opinion publique sont de nouveau prêts à jacasser.

Dans la dernière décennie, il y a eu davantage de vues, de commentaires et de publications sur Guy Turcotte que sur les changements climatiques et la corruption politique au Québec. Ce n’est pas rien. Les médias savent vendre des journaux. Il faut écraser la corde sensible comme de la menthe pour servir des mojitos bien juteux, c’est plus appétissant que le lave-vitre. Changer le monde, à quoi bon? La vie d’un seul homme sur 8,5 millions mérite beaucoup plus d’attention.

«J’aimerais le voir se faire enculer jusqu’à ce que ses yeux lui sortent par la tête» — Ginette, Verdun 312 likes «Dommage qu’il ne soit pas mort.» — Steve, Drummondville 200 likes «Tes enfants ne méritaient pas ce que tu leur a fait donc assume tes actes et fais toi sodomiser à mort ont ce calisse de toi tu es juste un tueur d’enfants» — Ken Michaud, ville de Québec. 253 likes

Allez-y, tirez, il saigne encore. Dépêchez-vous avant que quelqu’un le remplace.

C’est facile de frapper sur un homme anéanti, ça donne l’impression d’être une bonne personne. Quel courage, j’aimerais être un semi-dieu, immunisé devant la dérive. J’aimerais tellement penser que ça ne pourrait pas m’arriver à moi ou un membre de ma famille. J’aimerais être immunisé à la folie, aux drames et à la démence. Le sang sur les dents, plus, toujours plus. Mordillez en meute, jusqu’à la moelle, notre société n’a jamais été aussi malade, justement. Il faut répondre à la barbarie, par la barbarie. Il faut répondre à la violence, par la violence.

Jugez le meurtrier, c’est votre droit. Votre opinion vous appartient. Mais, n’oubliez jamais que juger le meurtrier, c’est escamoter la plus grande des violences, plutôt que de comprendre. C’est brûler les pages du roman avec cette certitude dérisoire de l’ignorant qui croit tout savoir. Celle qui envenime les drames, au lieu de tendre la main. C’est une réponse incompréhensible, c’est la peur d’avouer que le pire assassin nous ressemble. Guy Turcotte est un homme anéanti, détruit, un homme mort. À chaque nouvelle, la basse-cour se remet à jacasser. Vous êtes tellement courageux. J’aimerais être comme vous. Il n’y a pas d’âge pour comprendre que la raison peut basculer du jour au lendemain. Il n’y a pas d’âge pour se rendre compte que, dans chaque être humain, il y a du mal. Il n’y a pas d’âge pour comprendre que derrière les apparences trompeuses se cachent de grands drames.

Est-ce satisfaisant? Guy Turcotte est déjà mort. Il se réveille probablement chaque matin, la tête dans son cul, lorsqu’il n’est pas médicamenté. Pour ne plus rien sentir du tout.

Allez-y, réjouissez-vous, il saigne encore. Il faut faire vite. Bientôt, il y aura un prochain bouc émissaire à lapider, pour satisfaire vos besoins les plus nauséabonds.


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Capture d’écran du Journal de Mourréal. Site satirique.


Mise à jour. Dimanche, 19 juin, 21 h 20

C’est reparti. Certaines personnes m’accusent d’être insensible. Dois-je vraiment me justifier? Le sujet de ce texte ne porte pas sur le meurtre. On me rappelle à quel point ce drame est triste, les coups de couteaux, le profil du tueur, les petits anges. Ce texte ne parle pas de ça, sans les oublier.

Tout a déjà été dit.  Le sujet de ce texte est ailleurs. Je ne me questionne plus sur le geste, sur le trouble d’adaptation ou sur la folie passagère. C’est unanime, ce qui est survenu dans la nuit du 20 février 2009, à Prévost, est d’une grande tristesse.

Évidemment, je ne défends pas ce meurtrier, c’est indéfendable. Je me questionne sur notre société, sur le jugement qu’on porte aux drames. Je cogite sur ce désir de vengeance. Bref, deux petites lectures sur le sujet, Comment Devenir Un Monstre de Jean Barbe et l’Étranger ou La Chute de Camus. Je retourne dans ma grotte, défendre les prisonniers.

9 Commentaires

  1. La vindicte populaire s’explique peut-être en partie par le fait que Turcotte n’a jamais jugé utile, lorsqu’il était à l’Institut Pinel, d’entreprendre une thérapie. Quand on assassine ses enfants, on a forcément besoin d’y revenir, de chercher à comprendre pourquoi on en est arrivé là, de trouver qu’est-ce qui, dans notre existence, nous a mené à cette inexcusable extrémité. Pas Turcotte. Guy Turcotte n’a que faire de l’introspection et de ses funestes blessures narcissiques.
    Il y a peut-être là un fragment d’explication à ce venin qui suinte de partout.

  2. Pour un ancien intervenant dans un centre de ressources pour hommes. Je peux seulement demander qu’il y ait plus de ressources et d’éducation pour sortir les hommes de leurs mal être. On ne croyait pas qu’un médecin puisse faire une telle chose… voyons . Eux comme d’autres sont vus comme des héros. Ils sont humains comme nous tous et nous toutes. A chacun il arrive de vivre des moments plus ou moins difficile. Tendre la main malheureusement pour encore beaucoup d’hommes c’est impensable. Alors arrive des drames comme celui du Dr Turcotte .

  3. Monsieur Hotte,
    Quand j’avais 6 ans, le voisin d’en arrière a tué sa femme et ses 5 enfants. Ça marque. Je reste convaincue que ce genre d’événement ne se produit pas pour rien. J’ai plutôt tendance à croire que dans l’affaire Guy Turcotte, quelque chose ou quelqu’un l’a mené jusque là. Je ne pardonne pas son geste, j’essaie de comprendre. Je suis beaucoup plus vieille que vous mais je n’en réfléchis pas moins…

    Ma page Facebook à ce sujet:
    https://www.facebook.com/profile.php?id=100010833217699&fref=ts

  4. Je vous ai laissé un message, pas très clair, pardon. Malgré son geste impardonnable, Guy Turcotte à des « excuses « .

  5. La  » justice  » est partout la m^me , ici en France , comme chez vous ou ailleurs – Elle qualifie des faits , des personnes , selon des grilles de lectures qui sont des lois établies avec + ou moins de justesse , et pénalise avec + ou moins de justesse . La vindicte populaire s ‘ en satisfait rarement qui confond le + souvent la justice avec l ‘ assouvissement du sentiment de vengeance – Les scènes d ‘ hystérie au sortir des tribunaux sont effrayantes ici aussi en France – L ‘ humanité a encore du chemin à faire avant de mériter son nom –

  6. Je trouve votre réflexion excellente. Il est facile de juger et de condamner dans des cas comme ceux-ci l’émotion est à fleur de peau, il est plus difficile d’essayer de comprendre.

  7. Encore une fois, vous avez commis un bon texte. L’humanisme est inconditionnel et s’adresse autant aux victimes qu’aux bourreaux. Ceux qui salivent à l’idée qu’un prisonnier soit sodomisé auraient très bien pu faire partie de ces honnêtes citoyens allemands qui dénonçaient, humiliaient ou torturaient des Juifs. L’État a la responsabilité d’assurer la sécurité des prisonniers, quels qu’ils soient. On oublie trop vite qu’il y a des erreurs judiciaires. Je recommanderais aussi la lecture de « La tête de l’autre », une pièce de théâtre de Marcel Aymé.

  8. L’Etre humain est rendu à la croisée des chemins. Regardons tous les gestes de haine qui poussent partout sur la terre. Les guerres les gestes de barbaries, les viols etc etc etc. Tous ces gestes augmentent chaque jour. Sur Internet on crache son venin. Malheureusement la loi de la jungle s’est emparée de la planète . Je suis sur le bord de la fin et ma plus grande tristesse c’est le sort réservé aux bonnes personnes.

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